Le Berry Républicain a rencontré le président de l’APEI

Jean-Pierre Havard a été interviewé, par Philippe Cros, à l’occasion de la journée “Ni pauvre, ni soumis” du 29 mars 2008

Le Berry Républicain du 1er avril 2008 :

« Ce dont ils ont besoin : la dignité »

Rencontre avec Jean-Pierre Havard, président du conseil d’administration de l’Association des parents d’enfants inadaptés, qui gère 450 emplois dans ses structures saint-amandoises.
Samedi, les associations de handicapés manifestaient à Paris, pour un revenu décent accordé aux handicapés physiques. Comment se situe l’APEI par rapport à ce mouvement ?

Nous ne pouvons que nous inscrire dans le cadre de ses revendications. Avant d’être une association de parents d’enfants handicapés mentaux, nous sommes une association de parents de handicapés, au sens large. 628 euros d’allocation, c’est très insuffisant. Même augmenté de 5 %, ou encore de 25 %.
Ceci dit, nos problèmes sont différents. À l’APEI, notre souci fondamental n’est pas financier ; ce qui nous préoccupe c’est l’intégration dans la société, ce n’est pas la survie.

Quelle est la situation des travailleurs handicapés de l’APEI ?

Chez nous, ils sont rémunérés au minimum au Smic. Notre préoccupation est plutôt liée à l’insertion sociale. Nous voulons qu’ils aient une vie sociale. Et pour y arriver, le travail est la meilleure des thérapies. La difficulté, c’est que l’on est aujourd’hui dans une société de consommation. Pour être reconnu, il faut consommer. Nous disons qu’il n’y a pas que cela. Ce dont ils ont le plus besoin, c’est de dignité, d’être reconnus par les autres. Ce qui est important, c’est le regard que les autres ont sur eux et le regard qu’ils ont sur eux-mêmes.

Le fait d’être dans des structures adaptées, et pas dans le milieu ordinaire, n’est-il pas un frein à cette insertion sociale ?

Nous avons deux types de structures. D’un côté, les entreprises adaptées, que l’on appelait les ateliers protégés. Là, les conditions de travail sont normales et l’ouverture sur l’extérieur maximale. Ils logent en ville, sont indépendants. Ensuite, pour ceux qui ont moins d’autonomie, il a l’Esat (établissement et service d’aide par le travail, anciennement CAT), qui est une structure médico-sociale. Ils sont moins autonomes et ont une perception moindre de leur handicap. Tous nos efforts sont faits pour les ouvrir, pour qu’ils s’inscrivent dans des clubs. Mais il y a une différence entre ceux qui ont conscience de leur handicap et ceux qui n’en ont pas conscience.

Existe-t-il des passerelles vers le monde du travail ?

En théorie, il y a des passerelles entre les Esat et les entreprises adaptées, puis vers le milieu ordinaire. Mais dans les faits, nous avons très peu de cas de personnes qui quittent les entreprises adaptées. Un tous les trois ans, environ. Il y a plus de passage entre l’ESAT et les entreprises. Mais cela se fait dans les deux sens, avec parfois des retours en arrière.

Quelles sont les difficultés quotidiennes rencontrées par les travailleurs handicapés de l’APEI, par exemple pour le logement ?

Le handicapé qui est chez nous a un plus : c’est la garantie de l’emploi. Les difficultés peuvent venir du regard des gens sur nos enfants ; on vient d’ailleurs de me faire part de remarques désobligeantes dans une piscine. Mais d’une manière générale, on ne sent pas de rejet. Notamment à Saint-Amand, où nous sommes le premier employeur après l’hôpital, avec environ 70 % de main-d’oeuvre handicapée. Les habitants sont habitués. Pour le logement, il n’y a pas de problèmes. Bien au contraire, les propriétaires sont rassurés. Ils savent qu’il y a des revenus et la garantie de l’emploi. Et puis c’est une population paisible.

Au final, vous ne semblez pas rencontrer de grandes difficultés ?

Nous n’avons pas de difficultés majeures. C’est d’abord parce que nous avons les moyens de nos ambitions. Et cela, nous le devons aux choix politiques, industriels et commerciaux des administrateurs, principalement Bernard Fagot. L’APEI a démarré tout petit, a su s’attacher des compétences. Grâce à notre structure, à nos entreprises, nous n’avons pas de problème majeur.

Comment garantir l’équilibre entre ces deux mondes : d’un côté les entreprises adaptées qui vous permettent de dégager les moyens financiers ; de l’autre l’accueil et l’accompagnement des handicapés ?

Bernard Fagot disait souvent : “Nous sommes une entreprise industrielle qui n’a pas à reverser ses bénéfices aux actionnaires”. L’argent peut être investi pour les handicapés. C’est cette particularité qui nous permet de financer nos projets. Pour cela, nous avons deux directeurs généraux : l’un qui s’occupe de l’aspect industriel et commercial et l’autre de l’intégration et du bien-être des personnes handicapées. Nous devons être les seuls en France à avoir cette direction à deux têtes. Le travail de l’association, c’est aussi de créer l’emploi et de le pérenniser. Même si le coeur de notre action reste la personne handicapée. La difficulté est sans doute de rassembler tout le monde derrière une bannière qui est l’APEI. C’est la volonté des administrateurs.

Le 24 janvier dernier, vous avez fêté les trente ans de l’APEI en interne. Y aura-t-il un autre rendez-vous ?

C’était volontaire : il n’y avait pas de politiques, pas de journalistes. Il n’y avait que le personnel de l’APEI. C’était une fête de famille, dans l’esprit de ce qu’aimait Bernard Fagot. En juin, nous ferons une inauguration de notre blanchisserie, rue Sarrault, qui est l’un des établissements les plus modernes dans le département et sans doute au delà.